dimanche 8 novembre 2009

Carole Roussopoulos nous a quitté

Sa disparition le 22 octobre dernier s'est faite discrète. Pourtant, cette réalisatrice aux oeuvres fortes et engagées mérite un bel hommage.


« Ce qui compte pour moi, c’est la parole des autres, celle que l’on n’entend jamais.»

Carole de Kalbermatten naît en Suisse, à Lausanne, le 25 mai 1945. Sion, dans le Valais,
est son lieu de l’enfance. Après une scolarité classique, elle débute ses études universitaires
de Lettres en Suisse, qu’elle poursuivra à Paris. C’est là qu’elle rencontre Paul
Roussopoulos, réfugié politique grec, physicien, peintre, son compagnon de vie, d’activisme
et de vidéo, père de ses 2 enfants. Elle travaille pour le magazine Vogue et accessoirement
Jeune Afrique. En 1970, elle quitte le journalisme et s’achète, sur les conseils de Jean
Genet, la première caméra vidéo portable le fameux portapack de Sony. Elle saisit
immédiatement toutes les possibilités de la machine et exploite ses possibilités, sa légèreté,
sa mobilité son coût faible par rapport au support cinéma. Elle commence à filmer, puis à
monter les images. Le travail de montage est acrobatique au début, mais Paul invente une
façon de monter artisanale, avec scotch et ciseaux et un calcul de synchronisation, méthode
qui fera école dans le milieu de la vidéo militante. Le tournage avec cette caméra ne
nécessitant pas une équipe nombreuse, souvent Paul tient le micro et Carole la
caméra.


Avec Paul, elle monte en 1970 un petit groupe vidéo à Paris nommé Video Out La
même année, elle réalise Jean Genet parle d'Angela Davis et un film dans les camps
palestiniens Hussein, le Néron d’Aman (la copie a depuis disparu). Elle filme, dans la
traditionnelle manifestation du 1er mai 1970, le premier défilé d’homosexuels à Paris et suit
le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire dans ses réunions historiques à l’Université de
Vincennes, au département de philosophie. Elle laisse tourner sa caméra et capture les
échanges et les débats sans couper. Elle concilie l’art d’écouter et de voir avec une rare
clairvoyance. D’un coup d’oeil, elle saisit l’assistance, les réactions de ceux qui écoutent. Son
sens de la caméra, de la bonne place, de la bonne distance, assure la pertinence de son
propos au montage. Elle met ses connaissances à portée des militantes féministes en
organisant des ateliers, des stages de vidéo attirant de nombreuses femmes, notamment
Delphine Seyrig qu’elle rencontre à cette occasion et avec qui elle entame une longue
collaboration. Elles réalisent ensemble en 1976 un petit pamphlet remarquable S.C.U.M.
Manifesto. Carole Roussopoulos suit les luttes des femmes et les filme. Son travail sert
d’amplificateur aux luttes des prostituées de Lyon, des ouvriers des usines Lip, aux combats
pour l’avortement et la contraception libre et gratuite. Loin de chercher à s’intégrer aux
groupes ou à s’identifier aux personnes qu’elle filme, elle tente d’appréhender au plus juste,
une situation, une parole. Ainsi elle met en images les luttes internationales, les luttes des
exclus, le quart-monde, les clochards, les luttes au quotidien (à l’hôpital, en foyer de retraite),
la lutte des mères des détenus basques, et toutes les luttes des femmes (avortement, viol,
contraception, violences, égalité professionnelle…) En 1982, elle fonde avec Delphine
Seyrig et Ioana Wieder, le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir premier centre d’archives
audiovisuelles consacré à l’histoire et à la mémoire des femmes. Écoutant sans pour autant
jamais commenter, la réalisatrice n’a de cesse de remettre en cause les idées préconçues
des spectateurs sur des sujets polémiques ou le plus souvent ignorées par les médias grand
public. En quelques minutes sur une situation difficile ou conflictuelle, elle prend quelques
repères rapides, capte une pensée, un discours, une façon de parler, de regarder, de
travailler, de déambuler. Il s’agit d’une véritable exploration et non d’une démonstration
formatée aussi bien dans la prise de vue que dans le montage. Fidèle en amitié et en travail,
elle collabore en toute complicité avec des cadreurs, des preneurs de son, donnant en
général peu d’indications verbales. Pendant le tournage, elle sait faire reprendre une phrase,
changer une lumière, déplacer une personne, questionner plus avant ceux qu’elle filme. Il n’y
a rien d’automatique, Carole Roussopoulos reste très attentive et présente toujours à
l’écoute de la personne filmée. Tant avec les prostituées de Lyon qu’avec les Lip ou les
femmes victimes de violence, elle mène un vrai travail d’écoute sur la durée. Elle tourne de
longs entretiens, tout en restant mobile et prête à filmer si un évènement intervient. En
collaboration avec des groupes ou des associations, elle aborde les questions dont les
féministes se sont saisies: l’avortement, la contraception, le viol, l’inceste. Les films circulent,
deviennent des supports de débats et des outils de formation. Elle travaille aussi bien pour
et/ou avec des groupes militants, des associations, des fondations, des ministères. Ses
premiers films inscrivent son oeuvre, qui compte aujourd’hui plus de 100 films, dans son
rapport au monde. La parole des autres est primordiale. Le combat pour les droits
fondamentaux est légitime. L’être humain est au premier plan. Dans les années 80, elle
s’intéresse à la place des femmes dans le monde du travail, aux métiers et aux statuts
professionnels non reconnus (Profession agricultrice, Profession conchylicultrice) et à
l’égalité professionnelle dans le monde agricole comme dans l’industrie nucléaire. De 1987
à 1994, elle gère et anime l’Entrepôt, lieu comprenant trois salles de cinéma, une libraire et
un restaurant. Elle apprend alors le métier de programmatrice de films et de gérante de
restaurant. Dans les années 90, elle entreprend un vaste travail sur la maladie, la mort, la
douleur, l’accompagnement des personnes en fin de vie, tant du côté des malades que des
soignants. En 1995, elle reprend pied en Suisse et décide de tourner des sujets peu
abordés dans on pays d’origine: les violences contre les femmes et les enfants,
l’homosexualité. Elle travaille parallèlement à la restauration de ses premières vidéos. En
voyant s’éteindre autour d’elles des femmes ayant lutté pour les droits de femmes et en
constatant l’éparpillement et la dégradation des archives audiovisuelles sur le mouvement
féministe, Carole Roussopoulos se lance dans un grand projet de film sur le mouvement de
libération des femmes qui donnera en 2000, le film Debout ! Une histoire du Mouvement de
Libération des Femmes (1970-1980). Le film connaît un grand succès dans les festivals, fait
l’objet de très nombreuses projections dans le monde et donne lieu à une presse abondante
et élogieuse. En 1992 Carole Roussopoulos est nommée Chevalière des Arts et des Lettres
et Chevalière de la Légion d’Honneur en 2001 consacrant «ses 32 ans d'activités artistiques
de réalisatrice de films». En 2003, elle a toujours de nombreux projets en tête dont la
seconde partie du film Debout, une histoire du mouvement des femmes.


La réouverture du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir en 2004 accompagnera une
première rétrospective des films de Carole Roussopoulos dans le cadre des programmations
de Nicole Brenez à la Cinémathèque française et le début de la numérisation puis de la mise
au dépôt légal de ses films. De 2004 à 2009, Carole a filmé des femmes maliennes utilisant
le micro-crédit, a traité des mutilations sexuelles, des mariages forcés, des soins palliatifs
entre autres sujets. Elle terminait ces jours-ci un portrait de Delphine Seyrig.
Le 9 octobre 2009, Carole Roussopoulos a reçu le Grand prix culturel du canton du Valais
couronnant l’ensemble de son oeuvre.


Carole, qui se battait depuis plusieurs années contre le cancer qui vient de l’emporter le 22
octobre 2009, n’a jamais cessé de filmer et de monter de nouveaux projets avec passion.
Biographie rédigée en 2003 par Nicole Fernández Ferrer. Addendum octobre 2009.
2003 pour l’encyclopédie Nouveaux Medias (New Media Encyclopedia, coproduit par le
Centre Pompidou, Paris, le Centre pour l’image contemporaine, Saint Gervais, Genève,
Constant vzw, Association pour les Arts et les Média, Bruxelles, le Centre national des arts
plastiques, Fond national d’art contemporain, Paris et Museum Ludwig, Köln. Avec le soutien
de la Commission européenne.


Merci à Sheila Malovany-Chevallier et à Vivian Ostrovsky

Et quelques uns de ces nombreux films:

Genet parle d'Angela Davis (1970)
Le F.H.A.R. (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire) (1971)
Y a qu'à pas baiser ! (1971-1973)
Lip : Monique (1973)
Les Prostituées de Lyon parlent (1975)
S.C.U.M. Manifesto (1976)
Maso et miso vont en bateau (1976)
Le Viol : Anne, Corinne, Annie, Brigitte, Josyane, Monique et les autres... (1978)
Profession : agricultrice (1982)
La Mort n'a pas voulu de moi : Portrait de Lotte Eisner (1984)
Les Clés de Mauzac (1987)
L'Inceste, la conspiration des oreilles bouchées (1988)
Les Hommes invisibles (1993)
Debout ! Une histoire du Mouvement de libération des femmes (1970-1980) (1999)
Donner c'est aimer (2002)
Vieillir en liberté (2002)
Viol conjugal, viol à domicile (2003)
Il faut parler : Portrait de Ruth Fayon (2003)
Le Jardin de Lalia : des microcrédits pour les femmes maliennes (2004)
Des fleurs pour Simone de Beauvoir (2005)
Les Années volées (2005)
Sans voix... mais entendus ! Un hommage aux soins palliatifs (2006)
Pour vous les filles ! (2006)
Je suis un être humain comme les autres (2006)
Femmes mutilées, plus jamais ! (2007)
Mariages forcés, plus jamais ! (2008)
Ainsi va la vie. Cancer : de la peur à l'espoir (2009)
Pramont : une deuxième chance (2009)
Delphine Seyrig : un portrait (2009)

Aucun commentaire: