lundi 21 juin 2010

21 juin Faites de la musique: tous et toutes la même chance?

Nous attendons le début du programme télé: Les Brigands, Opéra-bouffe d'Offenbach à l'Opéra de Lyon. Ca fait longtemps déjà. J'étais très jeune mais j'avais été abreuvée d'opéras par ma famille mélomane dès ma naissance et depuis peu j'avais imposé le goût du ballet. Autant dire que des orchestres, on en avait vu plein. A la télé et en direct. Pourtant, ce soir, une surprise de taille nous attend.

Le programme commence. Vue sur la salle de l'Opéra et l'orchestre qui attend son chef. Celui-ci arrive sous les applaudissements du public.
MAIS, MAIS MAIS..........c'est UNE FEMME!!!!!!!!! Toute la famille a les yeux écarquillée de surprise. Moi comprise. Nous sommes ébahi-e-s. Une femme, c'est rare, unique mais pourquoi pas? Et puis si elle est là, dans cet Opéra c'est qu'elle doit en être capable non?
Et en effet, elle en est capable!

Claire Gibault a été mon premier modèle féministe. Bien sûr, à l'époque je n'appelais pas ça féminisme mais pour moi, voir cette femme assurer ce métier exclusivement masculin (je n'avais JAMAIS vu une femme diriger un orchestre auparavant ni même eu écho qu'une femme puisse le faire. Un chef d'orchestre c'est un homme, point.) m'a ouvert un horizon inconnu jusqu'alors: la possibilité et le droit de faire un métier pour homme simplement parce qu'il n'y a objectivement aucun métier pour homme ou pour femme.
Je n'ai pas lâché la danse pour la musique pour autant mais ça a été un déclic: être fille n'était plus une raison biologique, physique pour ne pas accéder à certaines fonctions puisque cette femme pouvait assurer un métier qu'on m'avait dit "d'homme". C'était une raison culturelle, sociale qui interdisait aux femmes ces métiers. J'ai trouvé ça terriblement injuste. Je ne voulais pas que cette cheffe d'orchestre soit l'exception qui confirme la règle et je crois bien que c'est à partir de ce moment que j'ai développé une conscience féministe.

La musique, comme tous les domaines, est terriblement misogyne et ce, quel que soit le style. Et si aujourd'hui tous les orchestres philarmoniques dignes de ce nom sont mixtes c'est grâce aux auditions derrières des paravents. Le candidat ou la candidate étant caché-e derrière un paravent et anonyme, impossible de savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme qui joue. Certaines postulantes allant jusqu'à chausser des modèles de chaussures d'homme afin de ne pas indiquer leur sexe par le bruit de leurs talons. Et quelle surprise! Des femmes sont sorties de derrière ces paravents!

En plus du sexe, l'origine sociale peut aussi rendre difficile l'entrée dans le monde de la musique. Surtout la musique classique considérée à tort comme un art d'élite ou de bourges. C'est pareil pour la danse classique donc je connais pas mal le topo.
Si les écoles privées sont en effet souvent hors de prix et presque uniquement accessibles aux classes favorisées, les conservatoires permettent d'avoir une éducation musicale gratuite ou très bon marché. Il en est de même pour la danse.
Mais même avec la scolarité gratuite ou avec des bourses importantes, il est parfois difficile d'accéder à ces écoles et de suivre le rythme. Les stages d'été, par exemple, sont un passage obligé pour qui veut devenir pro et les prix sont trop souvent indécents. Et puis il y a le contexte social.
Je me permets de prendre un exemple personnel. Je ne sors pas de la haute, loin de là. Chaque fois que je voulais passer une audition, chaque fois que mes profs me félicitaient, m'encourageaient ma famille minimisait: "c'est pas pour nous une école comme ça, c'est pour l'élite." "On n'est pas de ce milieu, je vais pas oser aller te chercher là-bas, qu'est-ce que je pourrai bien dire aux autres parents? J'oserais pas leur parler".
C'est un frein invisible mais réel. Et pourtant à l'origine, ils n'étaient pas de la haute non plus les artistes! Des "saltimbanques", des "bohèmes". Combien ont fini seuls et mourant de faim?!
Et aujourd'hui on compte fort heureusement de grands artistes pour qui tout n'était pas tracé d'avance.

Quoi qu'il en soit, la route vers l'égalité artistique est encore longue.

Voici dans Le Monde un article sur des musiciennes à l'occasion de la Journée de la musique.

Et il y a des figures exceptionnelles qui font honneur à la musique: Zahia ZIOUANI

Et une petite biographie de Claire Gibault

5 commentaires:

Héloïse a dit…

Le monde de la musique reste fortement misogyne:

Je jouais dans un groupe en tant que guitariste, un groupe de 4 femmes et un homme (le leader, évidemment). Entre la formation de ce groupe et la fête de la musique, une année est passée. Le groupe qui a joué hier sur scène était composé de 3 hommes (dont le leader) ...

Je me demande encore ce qui s'est passé. Pourtant, toutes ces femmes étaient loin d'être mauvaise alors que cet homme, bassiste, a de gros soucis de rythme (!) et ne sait pas reconnaître lorsqu'il y a changement d'accord.

C'est un exemple mais, gravitant un peu dans ce milieu, j'en aurais plein d'autres :(

shalima a dit…

J'aime beaucoup ton article, mais je me permets de revenir sur une petite chose : les conservatoires ne sont plus gratuits, loin de là. Depuis que ce sont les collectivités locales qui s'en chargent, ils sont même chers, très chers, plus que les écoles privées environnantes. Leurs frais de fonctionnement sont énormes, et l'état s'est fortement désengagé. C'est le cas dans le Morbihan, à Vannes, où je paye pour ma fille TROIS fois plus cher ses cours de danse classique. Véridique. Et politique :-(

Alice a dit…

Chez Héloïse, est-il permis d'espérer retrouver ces femmes sur scène avec leur propre groupe?
Peut-être que le gars avait peur de passer pour un plouc avec ses soucis de rythme face à des "nanas" qui, elles, assurent.

Shalima, en effet je ne suis pas entreé dans les détails et c'est vrai que certains conservatoires ne sont pas donnés non plus. En gros il y a l'Ecole de l'ODP où les cours sont gratuits (reste quand même l'internat pour les non franciliens et ça chiffre vite), le CNSMDP et le CNSMDL qui ont des tarifs abordables (de mémoire autour de 400€ pour l'année) et quelques CRR.
Le coté politique joue beaucoup en effet. La danse est loin d'être une priorité comparée à d'autres activités.
Mais au final, même dans ces lieux plus abordables il y a des frais incompressibles. Je pense notament aux pointes qui coûtent un bras quand on danse beaucoup et qu'on en change toute les semaines :-)

Michelle Julien a dit…

"Le candidat ou la candidate étant caché-e derrière un paravent et anonyme, impossible de savoir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme qui joue. Certaines postulantes allant jusqu'à chausser des modèles de chaussures d'homme afin de ne pas indiquer leur sexe par le bruit de leurs talons."

je viens d'apprendre quelque chose ! Les milieux rock / rap sont notoirement misogynes, c'est même leur marque de fabrique (et leur fond de commerce)... mais le milieu plus snob feutré de la musique classique ? - enfin c'est comme cela que je me représentais le milieu de la zic classique. Comme quoi, on est tous pétri de stéréotypes...

Alice a dit…

C'est vrai qu'il y a toujours ce stéréotype de la musique classique pour les gens instruits, cultivés, riches (comme si les 3 allaient de pairs)et donc au-dessus de tous soupçons. C'est aussi une image que ces mileiux se donnet. Alors que le milieu du rap est ouvertement misogynes, les classiques se défendent de l'être: si y'a pas de femmes c'est parce qu'elles n'ont pas le niveau ou qu'elles ne sont pas interessées par certaines catégories d'instruments disent-ils. Ils oublient juste de réfléchir au pourquoi de la chose: manque de modèle de femme musicienne, découragement conscient ou inconscient de la famille et des profs, etc.