mercredi 25 août 2010

Quelle différence? (ou quand les oeillères tiennent bon)

Il y a quelques temps de ça, je me balladais avec des copines et connaissances dont une était enceinte.
Nous autre ne l'étions pas mais qu'importe, cette femme ne pouvait pas parler d'autre chose que de SA grossesse.

Bon, entendons-nous bien, je n'ai rien contre le fait qu'une femme qui souhaite un enfant soit heureuse d'être enceinte et en parle. Je trouve même que c'est normal. Contrairement à ceux et celles qui me reprochent de ne pas vouloir enfanter, je ne reproche à personne de choisir d'avoir des gosses, je veux juste qu'on respecte mon point de vue.

Cette femme donc ne parlait QUE de son état. Etant toutes nullipares et pas non plus super amie avec elle (elle était plus une connaissance pour moi et pour d'autres) nous nous sommes trouvées à court de conversation une fois les thèmes de la découverte de la grossesse, le test positif, la confirmation du médecin, le déroulement en détail de l'échographie, de la sensation d'être "pleine, vivante et entière" quand "on" est enceinte.

La question à 2 balles est donc sortie toute seule: "Tu sais déjà si ça sera une fille ou un garçon?"

Et là, la réponse de la future maman: "Non, je ne sais pas. A quoi ça sert de savoir à l'avance? Fille ou garçon quelle différence?"
J'aurai du sauter d'allégresse en entendant cette réponse et j'ai eu un centième de seconde comme une sensation de bien-être et de joie excessive. Puis je me suis bien vite ravisée. Pourquoi? Voilà pourquoi:

Dire que garçon ou fille c'est pareil revient à dire que naître fille ou garçon implique exactement les mêmes risques et chances dans la vie. Or c'est faux. Le sexisme sévit partout. A des degrès divers, certes, mais partout quand même. Les différences de salaire, par exemple, se retrouvent à échelle mondiale. La Suède, un pays où la condition féminine est l'une des meilleures au monde si ce n'est LA meilleure, reconnaît avoir toujours un problème de sexisme, j'en parlais ICI. Récemment, des "féminsites" suédoises ont brûlé 100.000kr suédoises pour symboliser la différence de salaire femme/homme en Suède.
Et je ne parle pas du contenu des programmes scolaires où les femmes historiques sont absentes (j'ai su l'existance d'Olympe de Gouges à 18 ans seulement alors qu'on m'avait parlé de Robespierre au primaire!), du masculin qui l'emporte et qui efface grammaticalement les femmes dans de nombreuses langues, des violences sexistes, etc.
Bref, à moins de vivre complètempent reclus-e et de n'être jamais en contact avec la société il est impossible d'échapper au sexisme.

Nier cette évidence m'exaspère. De quoi s'agit-il? Une naïveté excessive qui fait que cette femme croit vraiment qu'il n'y a pas de différence? Elle qui est la 1ere à se plaindre de ses difficultés à trouver du travail, n'a t-elle pas des doutes quant au rôle tenu par son sexe sur le marché du travail? Ou veut-elle tellement croire que l'époque du sexisme est révolue qu'elle préfère nier l'évidence? Je crois beaucoup à ce cas de figure à savoir que de nombreuses femmes nient l'existence du sexisme tout simplement parce qu'il serait trop douloureux pour elles de reconnaître que la société ne nous laisse qu'une place de seconde zone. Ca fait mal de réaliser que le sexisme est prégnant et que nous subissons certaines situations discriminantes uniquement parce qu'on est femme. Faire l'autruche est moins douloureux. Je le sais par expérience.

Je pense donc que fille ou garçon, l'éducation sera différente. La société n'apportera pas les mêmes choses à une fille qu'à un garçon.
Dans le meilleur des cas, même si la société évoluait de façon entièrement non sexiste, cela prendrait des décennies pour arriver à une égalité totale. La petit fille qui née aujourd'hui aura donc automatiquement sa dose de sexisme et de discrimination parce que née fille.

Ce qu'offre la société peut être adoucit par l'éducation familiale. Avoir des parents non sexistes qui laissent librement choisir leurs fils ET leurs filles entre danse et judo, qui leur offrent des poupées ET des camions de pompiers, qui leur expliquent que fille ou garçon ils et elles pourront choisir leurs études, leur métier, leur style de vie, etc aide certainement beaucoup bien que cela n'empêchera pas la fille de gagner probablement moins que son frère ou d'être traitée de pute par les voisins parce qu'elle a un plan cul alors que son frère sera qualifié de Don Juan.

Or, voilà ce que cette femme nous a sorti au cours de nos différentes rencontres:

Déjà, elle nous avait parlé de son chéri. Il a 15 ans de plus qu'elle et, de son propre aveu, n'a pas un corps d'Apollon. Mais c'est pas grave nous dit-elle parce que ce n'est pas important pour un homme d'être beau et 15 ans de plus ça passe très bien quand c'est l'homme qui est le plus âgé. Non parce qu'un jeunot qui sort avec une ménauposée, ça va pas là par contre. Le principal c'est qu'à son âge il a une situation stable qui lui permet d'assurer la survie financière du couple. C'est important pour un homme qu'elle nous redit.
Elle nous conte aussi qu'il n'était pas pressé pour une relation durable. Son arme infaillible pour le convaincre qu'elle est LA bonne personne pour lui: toujours lui montrer qu'elle pense à lui en se faisant belle pour lui. "Je fais bien attention d'être épilée partout, de mettre de jolies robes sexy" nous sort-elle le plus naturellement du monde.

Mais bien sûr, fille ou garçon, quelle différence?

8 commentaires:

Stéphanie a dit…

"pour un homme" ... :)
que cette phrase est douce.
Ça me rappelle l'été dernier, quand je disais "Je vais en stage à Paris, ça va me coûter cher", réponse : "Tu as un copain, fais-toi inviter, tu vas voir c'est bien d'être une fille".
Ouais. Vachement bien, même.

Anonyme a dit…

excellent billet : plein d'humour et de lucidité . Merci ! Calice

J a dit…

Je trouve que ce que tu écris là met sur les filles à naitre un poids dépressif qu'elle devront porter, tout en libérant les garçons, asseyant encore plus leur domination culturelle. En fait je trouve que ce point de vue fait persister la culture que tu conteste... Cela étant dit, je te recommande la lecture de La Domination Masculine de Bourdieu, qui met en lumière le piège tendu aux hommes par, non "leur" phallocratisme, mais celui que la société leur impose. Ma toute jeune fille de quelque mois, je lui donnerai tout ce que je peux pour que "ça ne fasse pas de différence", mais je préfère formuler autrement : lui donner les outils, lui transmettre tout ce que j'ai, tout comme je le ferai si j'avais eu un fils, pour qu'elle puisse vivre en ce monde, y porter ses désirs, être ce qu'elle veut être.
Enfin, bon, je pense que le "ça ne fait pas de différence" porte sur la question "que préfère-tu, en tant que parent", plutôt que sur "que pense tu du sexe pour sa vie à venir dans *tel pays*". Intéressant d'avoir détourné (enfin je crois, je n'étais pas là!) la proposition pour creuser la différenciation par culture...
Merci, & Amitiés bloggueuses

Meor a dit…

Et si cette réponse, dans cette situation, n'était que synonyme du fait que cette femme aimera tout autant un garçon qu'une fille et que, quel que soit le sexe de son enfant à venir, elle est tout simplement ravie de l'attendre ?

Cela n'enlève rien à tes réflexions que j'agrée, bien évidemment.
Mais je préfère mille fois entendre quelqu'un penser, attendant un enfant, que peut importe le sexe l'évènement sera tout aussi heureux, qu'imaginer avant même que cette future-personne naisse, que sa vie sera (ou pas) biaisée par son sexe.
Même si c'est souvent le cas.

Bref.

:)
Bonne journée.

Alice a dit…

Stéphanie, exact. C'est comme le "Hein quoi??? Tu payes le restau? Mais que t'es cruche! Fais-toi inviter. T'es une fille ou quoi?" Pathétique.

Calice, merci!

Emelire, non c'est pas gagné surtout parce qu'elle ne s'en rend pas compte. Mais bon, c'est une personne qui avait pas mal d'autres contradictions comme celle-là donc c'est peut-être juste sa façon d'être.

J, détourner quoi? On ne lui a jamais demandé ce qu'elle préférait, ce n'est pas le genre de question qu'on poserait, ni moi, ni les autres filles avec nous quand on dénonce les infanticides féminins. Sa réponse était bel et bien en rapport avec l'éducation qui s'en suivrait. Se préparer à l'avance à l'idée d'acheter une barbie ou un camion de pompier à Noël et ce genre de chose. Peut-être voulait-elle dire qu'au début un nouveau-né, fille ou garçon, ça ne fait que manger et dormir. C'est ce que beaucoup croit en tout cas. Mais vu ce qu'elle raconte sur elle, ça m'étonnerait que son fils ait une barboteuse rose ou que sa fille se voit offrir une tenue de pirate. Passé les 1ers mois m'est avis qu'on pourra voir clairement si elle promène une fille ou un garçon dans sa poussette.
Sinon j'ai lu Bourdieu et bien sûr que les garçons sont concernés. j'en parle tout le temps ici d'ailleurs.

Anonyme a dit…

autant je suis d'accord avec le billet en général autant je pense comme J que tu détournes la réponde de la demoiselle.

Etant futur papa depuis quelques mois, la question du 'fille ou garçon' tout le monde me la pose, dés qu'on connait mon état de futur papa. Et ça a toujours été pour me demander une préférence. Alors peut-être que toi et tes copines ne pensaient pas à ça en posant le question. Peut être que vous vouliez demander 'dans le monde actuel avec la condition faite aux femmes tu ne penses pas que ca sera différent pour ton futur enfant si c'est une fille plutôt qu'un garçon ?' Mais c'est pas vraiment la question attendue, alors si vous ne l'avez pas posé explicitement elle a très bien pu penser que vous posiez la question que tout le monde pose.

Question à laquelle je répond toujours 'on ne sais pas encore, mais pour moi il n'y a pas de différence, je serais super heureux dans les deux cas'.

Parce qu'apparement le sexe du bébé est parfois important. Plein de futur papa ou de futur maman ont une vraie préférence, espère avoir une fille ou un garçon. Et sont même déçue quand ça tombe pas sur le sexe qu'il espérait.

Je passe presque parfois pour un extraterrestre, ou un sans coeur en disant que non, je n'ai pas de vrai préférence.

Alors voilà, autant oui notre société actuelle a un gros problème de sexisme en général, autant oui quand on va être parent, ca peut ne pas faire de différence le sexe de son futur bout de chou, parce qu'on est juste content de sa venue.

Alice a dit…

Meor, on peut très bien se réjouir de l'arrivée de son enfant fille ou garçon (et on DOIT se réjouir sinon mieux vaut faire une IVG). Je ne suporte pas celles et ceux qui affirment haut et fort préférer l'un-e ou l'autre. Mais on peut être conscient de la vie que pourra avoir ce bébé, des possibilités que la société et nous en tant que parents pouvent lui donner. Je trouve très important de se poser plusieurs questions avant de décider d'avoir un enfant. Fille ou garçon, l'éducation ne sera pas toujours facile. Il faut savoir si en tant que futurs parents on se sent d'attaque ou non. Un bébé ne reste pas bébé longtemps et je suis sciée de voir le nombre de gens qui font des gosses sans réfléchir et qui ne voient que le coté "c'est mignon". Oui c'est mignon mais il faut quand même faire face à la réalité. Un bébé n'est pas un poupon qu'on reçoit à Noël pour faire joujou avec et des gouzis gouzis. Si les parents ne sont pas prêts à assumer, comment l'enfant va-t-il gérer tout-e seul-e?

Quant à la question à savoir si c'est une fille ou un garçon, si j'étais enceinte je voudrais savoir. Ne serait-ce que pour le prénom et pour commencer à me familiariser avec mon futur enfant. Pas pour acheter du bleu ou du rose ou me préparer à devoir assister aux matches de foot ou aux spectacles de danse.
Or, dans le cas que je présente dans ce billet, la réponse de cette femme était clairement que fille ou garçon rien ne sera différent alors qu'elle ne cesse de tenir des discours sexistes. C'est ça qui me fait dire que les stéréotypes ont encore une longue vie devant eux.

Héloïse a dit…

"Faire l'autruche est moins douloureux."

C'est un moyen de survie aussi. Les prostituées ont bien analysé qu'elles disent être fières de l'être pour ne pas mourir, se haïr ou devenir folles.

En même temps, ça ne fait pas avancer les choses ... sauf pour soi-même (et encore).

J'aime beaucoup ton analyse: le "quelle différence ?" est sans conteste un déni. Il n'y a qu'en regardant les choses en face qu'on fera avancer les chose et ça n'a rien à voir avec la victimisation dont parle J. On peut donner tous les outils que l'on voudra à sa fille, elle sera confrontée au sexisme aussi longtemps qu'il existera. Pour l'éradiquer, il faut en parler ... pas d'autre issue.