mardi 7 septembre 2010

Utérus sur patte

J'ai 6 ans. Je suis chez le médecin. On va me faire le vaccin de la "lubélole" comme je dis alors, le vaccin pour les filles. C'est maman et le docteur qui le disent. Il faut me vacciner, c'est impératif pour les filles pour avoir un bébé. Du coup j'ai peur. Est-ce que je vais avoir un bébé après le vaccin? J'en veux pas de bébé! J'ai mes poupons c'est bien assez alors pourquoi on me pique? Pourquoi on me fait mal?

J'ai 15 ans. Je suis clafie d'acnée. Je prends des antibiotiques. Il y a une nette amélioration alors on m'arrête les antibio et ça repart au bout de quelques jours. Alors on me represcrit des antibio et ainsi de suite. Je veux demander le traitement au Ruacutane. Ma mère n'est pas d'accord: "Hein??? Mais ça donne des malformations au foetus!!!!!!!!"
Quel foetus?
Je n'ai pas le droit de prononcer le mot "garçon" chez moi sans avoir à me justifier et à prouver par tous moyens que si j'emploie ce mot c'est juste pour dire que le ou la prof m'a foutue en binôme avec un gars pour un travail de classe (ben oui, vous savez bien qu'on est catho chez moi et que la bigoterie ne fait pas bon ménage avec tout ce qui touche aux relations que peuvent avoir les filles et les garçons). Voilà que j'apprends que j'ai un foetus imaginaire. Je ne sais pas comment j'ose mais j'ose en parler à ma dermato.
"Ruacutane? Oui c'est efficace mais il te faut une bonne contraception. A ton âge c'est seulement la pilule et prendre la pilule c'est une responsabilité. Il ne faut pas l'oublier sinon il y a risque de grossesse et ton bébé sera malade, diforme. A ton âge on a autre chose à faire qu'à penser à l'heure de sa pilule. C'est trop risqué".
Si je comprends bien, je suis trop immature pour penser à prendre un comprimé à heure régulière mais en cas de grossesse, à 15 ans, au milieu des années 90, je vais assumer cette grossesse. Bien sûr. Heureusement que le droit à l'IVG en France a plus de 20 ans...

J'ai 19 ans. J'ai un problème de santé que je m'efforce de traiter le plus rapidement possible pour ne pas manquer trop de cours à la fac et valider ma licence.
Mon docteur me propose le plus naturellement du monde de me faire un certificat d'invalidité et en échange je fais un bébé. Pour me convaincre: "Allons entre nous, vous savez bien que ça ne prend que 5 minutes dans les toilettes d'une boîte de nuit", clin d'oeil de connivence à l'appui.
Je suis outrée. Lui aussi: "mais ce que je vous propose c'est le rêve de toutes les femmes: être payées (dans mon cas invalidées) pour rester à la maison avec leur bébé! Vous ne pouvez pas le prendre mal comme ça, c'est pas normal!"
Que j'ai envie ou non d'avoir un gosse n'entre pas du tout en ligne de compte. Que j'ai 19 ans et que je n'ai donc pas terminé mes études non plus. Qu'il n'y ait pas de père non plus. Que je n'ai pas l'intention de me faire invalider pour une pathologie non invalidante non plus. D'ailleurs, à cause de ce point, je ne sais pas s'il aurait réussi à me faire invalider parce qu'avec mes 25 h de danse par semaine plus mes 35h de cours en double cursus à la fac, hein bon, ça ne fait pas vraiment très "invalide" comme mode de vie. C'est peut-être ça qui le dérange d'ailleurs?
Je suis sans réaction. Je me sens humiliée. J'ai mal pour moi et j'ai mal pour un éventuel bébé. Je ne suis qu'un utérus sur pattes et cet éventuel bébé n'est pas grand chose non plus dans les yeux de ce docteur. Comment l'élèverai-je? Que ferai-je une fois le certif d'invalidité terminé, sans ressources, sans diplômes? Pourrai-je donner le meilleur que je puisse à cet enfant dans ces conditions? peu lui importe à lui, le docteur.
Je me sens très mal. J'en parle chez moi: "Ah ben tu vois! C'est pas grave ce que tu as puisque tu peux être enceinte! Tu peux avoir une vie normale!".
J'ai appris par hasard quelques mois plus tard que d'autres filles avaient subi la même chose de la part de ce docteur. Une histoire de financement sur un projet d'étude sur le taux d'hormones de femmes enceintes et atteintes de la même pathologie que moi. Il lui fallait plusieurs cobayes pour obtenir un financement juteux.

Je suis en entretien d'embauche. "Vous avez des enfants? Non? Mais vous allez en avoir n'est-ce pas? Bon vous n'êtes pas obligée de répondre mais je suis sûr/e que vous en voulez et moi je veux quelqu'un qui soit présent vous comprenez?"

J'ai 25 ans. je suis célibataire et très heureuse de ma situation. Pourtant ça commence à jaser autour de moi. Il faut que je mette en couple. Ca craint d'être caterinette. Surtout pour les enfants. Je vais regretter de ne pas chercher un homme, papa potentiel parce qu'avoir des enfants quand on est encore jeune c'est le voeux le plus cher de toutes les femmes. Surtout pour en avoir plusieurs. On ne peut pas commencer à procréer à 40 ans pour avoir 3 ou 4 gosses. Il faut commencer là, maintenant, tout de suite. Je devrais déjà avoir trouvé le père alors qu'est-ce que j'attends????? Hein??????

On devrait supprimer le mot "femme", ça ferait des économies de language pour le remplacer par "pondeuse" ou "utérus sur pattes" parce que qu'est-ce qu'on est d'autre que ça pour la société? Ah si, on est des salopes aussi, bonnes à écarter les cuisses et à laisser les mâles faire ce qu'il veulent bien nous faire et qu'ils se vident bien les couilles. "Dévidoir à sperme" ça sonne bien non, en lieu et place de "femme"?

Qu'est-ce que c'est cool d'être une femme...

9 commentaires:

Gabrielle a dit…

je suis sur le (bip) de ce que t'as proposé ce mec. et aussi de ce que tu subis et a subi, pourtant c'est devenu tellement banal... j'ai maintenant les mêmes réactions épidermiques que toi à toutes ces injonctions "bienveillantes".
un enfant, si je veux, quand je veux, ce n'est encore pas vrai...

Jamed Lavy a dit…

Oh là là, mais c'est effrayant. Et après ça qu'on vienne encore nous dire qu'il n'y a aucune pression, que tout est dans notre tête ! Je ne sais pas où tu vivais lors de tes 25 ans mais j'ignorais que cette histoire de Catherinettes avait une importance certaine hors du Nord et / ou de l'Est de la France...

Amélie a dit…

C'est hallucinant cette histoire de médecin, je n'en reviens pas !!

Complètement d'accord avec toi sur cette pressions à enfanter. La mère de mon copain, qui est médecin, m'a tenu un jour un discours, comme quoi c'était maintenant que je devais faire un enfant, et que les femmes qui faisait un gosse après 35 ans n'étaient que des inconscientes écervelées.
C'est vrai ça, il vaut mieux faire un enfant sur l'ordre de son médecin plutôt que quand on en a envie.

Juste un petit bémol sur ton article, le début. Tout dépend évidemment comment s'est présenté à l'enfant,mais je ne peux pas être contre la vaccination contre la rubéole.

June Prune a dit…

Cette histoire de catherinettes (ou tout simplement de "célibataire à ton âge"), c'est vrai partout dans tous les milieux. En 2010.

J'ai l'impression qu'il n'y a que les filles qui s'affichent féministes à qui il arrive des histoires pareilles. Les autres vivent-elles chez les bisounours, ou elles ne se rendent même pas compte de la gravité des situations ? Beurk.

Anonyme a dit…

Ha... pas grand-chose à voir avec le sujet, mais moi c'est la propagande autour des vaccins et des "bienfaits" pour l'humanité de ceux-ci qui me fait grimper au mur. Et je propose la lecture d'un livre de journaliste (pas d'un farfelu homéopathe ;) ) pour faire le point: édifiant et ... édifiant! Les vaccins seront, j'en suis sûre, le prochain scandale sur le même type que celui qui a touché les fabricants de tabac.
"Vaccins, mensonges et propagande" de Sylvie Simon est bien plus d'utilité publique que ... les vaccins!
Aubergine

Hypathie a dit…

Quand on voit comment nous sommes traitées au moment de la retraite contre notre abnégation "pour payer les retraites" des autres, franchement non merci, autant renoncer.

Alice a dit…

Gabrielle, il faut avoir les oreilles bien accrochées pour entendre certaines choses. Moi aussi j'étais sur le (bip). Et on a beau dire, un enfant si je veux, quand je veux, ça reste encore une chimère :-(

Jamed Lavy, j'étais au Danemark. mais ce ne sont pas les danois-e-s qui m'ont le plus emm**der avec ça. Je crois que les catherinettes se fêtent un peu partout et comme je vivais dans un environnement international j'y ai eu droit. Et en France à chacune de mes visites, jour des catherinettes ou pas, c'était toujours la même rengaine.

Amélie, mais voyons, tout le monde sait qu'on a envie d'être mère!!! Il n'y a que nous pour ne pas le savoir! C'est effrayant.
Concernant les vaccins, je ne suis pas contre certaines vaccinations mais vacciner des enfants sans savoir exactement quels sont les tenants et les aboutissants, je suis contre. Et vacciner seulement les filles et qui plus est durant la petite enfance ne me plait pas du tout. La vaccination des garçons contre la rubéole est assez récente or ceux-ci peuvent aussi transmettre le virus aux femmes enceintes non? Dire à une fillette qu'elle va être piquée pour protéger son bébé c'est juste dégueulasse. La preuve c'est que je m'en souviens encore alors que je n'ai pas de souvenirs spécifiques de mes autres vaccinations et rappels.

June Prune, je crois que beaucoup ne s'en rendent pas compte parce qu'elles sont complètement aliénées par l'éducation, la culture, la société sexiste dans laquelle nous vivons. D'autres aussi ne veulent pas le voir je pense. Voir la réalité en face c'est douloureux et c'est parfois plus confortable de nier l'évidence et de faire l'autruche. "Hein du sexisme? Où ça? Pas chez nous voyons! C'est juste un hasard si mon mari gagne 25% de plus que moi et s'il ne fait rien à la maison c'est parce que c'est moi qui suis trop maniaque et qui préfère tout faire moi-même". C'est un discours qui revient souvent. Le pays des bisounours en toc.

Aubergine, tout à fait d'accord! Je ne rejette pas tous les vaccins en bloc mais juste l'exemple du vaccin de la grippe A... Mais money is money et les labo s'amusent à faire peur à la population. La peur! C'est ce qui fait tourner le monde, encore plus que le fric et le sexe. Fais peur à quelqu'un et tu en fais ce que tu veux.
Je ne connais pas Sylvie Simon mais je vais voir si je peux trouver son bouquin en bibliothèque. Ca m'intéresse de savoir ce qu'elle dit.

Hypathie, exact, non merci et je passe mon tour!

Emelire, et bien, ça c'est une sacrée fête dis donc! D'autant plus ridicule quand on vit en couple. Le mariage reste LA référence. Et ça me fait bien rigoler tes collègues qui "tenaient" une caterinette. Ma foi, on s'amuse comme on peut! J'espère qu moins que les cadeaux étaient sympas et que le restau était bon. C'est toujours ça de pris.
Pour l'acné et la pilule,la gynéco de ma mère m'a prescrit la pilule 6 mois plus tard pour régulariser mes cycles et atténuer mon acné mais je n'ai pas eu le traitement ruacutane parce que la dermato avait peur des oublis de pilule et puis cette pilule luttait aussi contre l'acné. Il y a eu une amélioration mais pas suffisante donc antibio et crèmes anti-acné en alternance pendant des années.

Kalista a dit…

Je me suis mariée à 24 ans et demi, les remarques n'ont pas manqué... "Tu te maries juste à temps, tu ne seras pas catherinette !" J'ai eu la sale sensation d'avoir une date de péremption comme un yaourt.
Quelques années plus tard, rebelotte : je tombe enceinte, on me félicite de faire ça avant mes 30 ans. Mes choix personnels, on s'en balance, ce qui compte c'est de faire les choses dans le délai imparti, sinon on est irresponsables...

Alice a dit…

Kalista, bonne comparaison le yahourt périmé. Ce qu'on souhaite n'entre pas en ligen de compte. Ce qu'il faut c'est oéir aux injonctions de la société.